Hadopi, seule ligne de défense du Droit d’auteur ?

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Par Xavier Strubel, enseignant-chercheur en droit

Hadopi est une loi controversée depuis sa création en 2009. Le mois dernier, la Haute Autorité a présenté son premier rapport d’activité. Au delà des résultats annoncés, ce bilan est l’occasion de s’interroger plus largement sur l’efficacité de la loi Hadopi dans la défense du droit d’auteur sur internet.

Rappelons d’abord que l’Hadopi lutte contre le téléchargement illégal et massif des œuvres. Le rapport Olivennes, qui a préconisé le système de la riposte graduée, indique ainsi que 93,6 % des films piratés et déjà sortis en salles seraient disponibles sur les réseaux pair-à-pair avant leur sortie en DVD sur le territoire français (Etude CNC/ALPA, d’octobre 2007).

Cette loi tente donc de répondre à une nécessité, celle de défendre le droit d’auteur des créateurs des œuvres numérisées. Il fallait bien faire quelque chose ! Rappelons aussi que le violation des droits d’auteur est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende par la loi pénale. Face à des téléchargeurs frénétiques, Hadopi propose la riposte graduée et une répression plus clémente (suspension de la ligne internet et 1 500 euros d’amende). Ces sanctions semblent bien intégrées par le public et à même de pouvoir changer les comportements, comme le montrent différents sondages (IFOP, juillet 2009, pour le journal 20 Minutes).

Mais si Hadopi est une loi dont l’objectif est simple à comprendre, elle est coûteuse à mettre en œuvre et les démarches judiciaires qu’elle implique, depuis sa révision législative en octobre 2009 en raison de la censure par le Conseil Constitutionnel, sont particulièrement longues et fastidieuses.

Aussi, avant de légiférer une nouvelle fois pour faire évoluer l’Hadopi, ne peut-on pas se laisser le temps de faire un bilan de cette loi telle qu’elle est appliquée aujourd’hui ? Compte-tenu de la longueur des procédures, ce bilan ne pourra pas se faire avant 2012 (pour un nouveau thème de campagne présidentielle ?). Il sera alors possible de baser une réflexion sur des chiffres et non sur des idéologies.

Cependant, le décompte des procédures pénales et le chiffrage des dispositifs légaux en fort développement (cartes prépayées, licences légales, nouvelles offres de type Peugeot Music qui vend une voiture avec un an de téléchargement légal chez Universal…) ne pourront suffire à juger l’efficacité de la loi Hadopi dans sa défense du droit d’auteur.

En fait, la principale limite de l’Hadopi est d’être une loi conjoncturelle. Ainsi que l’a exprimé le Président de la République : « Hadopi n’est pas une fin en soi. Hadopi c’est, à un moment de l’histoire, une solution imparfaite trouvée à un impératif que j’estime catégorique, immuable dans mon esprit : la défense de la propriété intellectuelle et des droits des créateurs ». En effet, face à la révolution technologique et économique que constituent la numérisation des œuvres et leur diffusion sur des supports toujours plus nombreux, l’établissement d’un cadre législatif constitue un premier pas indispensable. Mais il ne pourra résoudre tous les problèmes.

Deux enjeux essentiels

Pour défendre justement et durablement les droits d’auteur d’œuvres numérisées sur Internet, je vois deux enjeux essentiels :

Des instruments de mesure fiables

Premier enjeu : se doter d’instruments de mesure fiables pour évaluer la chaîne de valeur de l’industrie numérique.

Comment évaluer le droit d’auteur d’une œuvre dans l’industrie numérique lorsque l’on ne sait pas mesurer la chaine de valeur de la filière industrielle elle même ? Le calcul n’a pas été fait ; la valeur d’une œuvre numérisée est aujourd’hui déterminée par le seul diffuseur final qui fixe son prix.

Comment mesurer le droit d’auteur si on ne sait pas mesurer de façon fiable la diffusion des œuvres ? Ces dernières années, l’industrie numérique a multiplié les canaux et les terminaux de diffusion, mais elle ne s’est pas dotée d’outils fiables permettant de mesurer le trafic des œuvres sur les bandes passantes.

Aujourd’hui, l’évolution des industries de contenus  est en retard sur les comportements sociaux et les dispositifs technologiques qui ont engendré de nouvelles habitudes de consommation.

Une offre multidimensionnelle

Deuxième enjeu : ne pas faire l’erreur de se concentrer uniquement sur le consommateur final. La balle est dans le camp des distributeurs qui doivent développer une offre multidimensionnelle adaptée aux nouveaux modes de consommation, tout en préservant la diversité de l’offre culturelle. Cette adaptation nécessite un travail important de la part des distributeurs, donc de l’argent, ce qui explique leur lenteur à s’adapter. Mais ils le feront car cette évolution est inéluctable.

Bref, en l’état actuel des usages et des mentalités, les lois Hadopi demeurent sans doute un mal nécessaire !