Décès de Patrick EPINGARD

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In memoriam* : Patrick Epingard (1948-2015)

« L’homme n’est pleinement homme que lorsqu’il joue » (Friedrich Von Schiller)

Pour Patrick Epingard, qui est décédé le lundi 28 septembre 2015, les jeux de l’esprit comme l'activité professionnelle ont occupé une place centrale dans son existence. Sa principale passion était la vie sous toutes ses formes dont le travail intellectuel était évidemment une composante.

Après un début de carrière au "SPAF", le service des affaires financières de la Direction générale des télécommunications, Patrick est arrivé à l'Institut national des Télécommunications (INT) en 1981, et il a vécu, comme d'autres, une période épique à Gentilly, où se livraient chaque jour des batailles d'idées, dans une lignée post-soixante huitarde. Economiste, Patrick était à l'époque intéressé par le courant de Louis Althusser, et, plus généralement, par le marxisme. Il était, vis-à-vis de ses collègues, généreux, droit et d'une honnêteté scrupuleuse, fort communicatif, souvent entêté, mais fin, curieux et très subtil. Patrick était un pédagogue enthousiaste ; il développait sa rhétorique avec un grand sens de l'humour : ainsi, sa mère, dont il parlait souvent dans ses cours, était devenue, pour ses étudiants, un personnage de légende, car il transposait ses relations avec sa génitrice dans des récits drôles et parfois teintés d'un emprunt à l'imaginaire.

Grand sportif et compétiteur né, Patrick s'était mis au scrabble à l'âge de 25 ans et ce jeu, le scrabble francophone, a accompagné sa "carrière" jusqu'au bout : en 2015 encore, avec sa femme Nicole, qui est l'une des meilleures scrabbleuses françaises de ces trente dernières années, il a été champion de scrabble par couple dans la catégorie "seniors". Tous les collègues de Patrick ont suivi ses compétitions en championnats de France, parfois du monde. Cela l'avait rendu célèbre, et il mettait une certaine coquetterie à exploiter sa prodigieuse mémoire surentraînée à la rapidité pour poser des "colles" à des étudiants impressionnés. Ses connaissances et sa mémorisation s'appliquaient aussi, comme l'a rappelé son collègue très proche Pierre Dumesnil lors de la cérémonie des obsèques, aux records sportifs et aux capitales du monde géographique. Mais Patrick était mieux qu'une mémoire ; il réfléchissait, sur beaucoup de sujets, avec ardeur. Dans le domaine des idées, il était un matérialiste, convaincu par le freudisme, l'athéisme. Cela ne l'empêchait pas d'ouvrir des portes au "sacré profane", avec son admiration pour certains peintres, notamment Turner ou Hopper, pour certains musiciens.

Patrick, sur le plan scientifique, avait obtenu son doctorat en économie sous la direction du grand René Passet avec mention très honorable et sa soutenance fut brillante. Ses domaines d'excellence étaient l'économie de l'immatériel (1) et la théorie de la décision. Il avait publié dans la Revue économique un article mémorable sur les mécanismes de la décision chez les scrabbleurs de haut niveau et il avait même été invité par la direction économique de Total pour présenter ses vues à ce sujet (2). 

Patrick n'était pas seulement un ludion, mais un personnage complexe, pétri d'esprit. La maladie le surprit brutalement, et il se battit avec rage contre elle, considérant que chaque jour gagné était une victoire pour les livres qu'il lisait, pour les articles qu'il rédigeait à destination des revues de scrabble, pour la nature qu'il avait appris à apprécier assez tardivement. Patrick enseignait dans nos deux écoles et en éprouvait un grand plaisir, multipliant les échanges avec les apprentis managers et ingénieurs, quitte ensuite à renouer avec une solitude bénéfique pour la réflexion et la recherche. En août 2015, Patrick craignait que les molécules ne parviennent plus à le protéger contre le mal qui le rongeait. Sa lucidité intellectuelle était sans défaut, mais jusqu'au dernier jour, à la dernière seconde, Patrick Epingard a professé sa passion pour la vie et son bonheur "d'être dans la beauté des choses".

Patrick, pour tes collègues et amis, ton souvenir restera à jamais vivace.

 

(1) Investissement immatériel, cœur d'une économie fondée sur le savoir, CNRS Editions, 1999.

(2) Rationalité individuelle et traitement de l'information : les leçons du scrabble de compétition, Revue économique 93/6 (N° 44). 

* Texte rédigé par Claudine Guerrier, Michel Berne et Xavier Strubel au nom des tous ses collègues du Département Droit, Economie, Finance (DEFI) dont Patrick a été, de 2006 à 2008, Directeur-adjoint.